Les Pèlerins de Peshir




La voie de la religion, à Tyrande, est la voie de Valdiria, la Dame des Rêves.
Devenir un fidèle de Valdiria est possible à tous et devenir prêtre l'est également. Le Saint Clergé de Valdiria ne fait pas cas du Sang pour déterminer la valeur d'un individu.
Quiconque a la dévotion est digne d'être honoré, selon les dogmes du Saint Clergé.

Tous les ans, des dizaines de jeunes adolescents effectuent un pèlerinage sur l'île de Peshir pour se recueillir sur la tombe de l'Evêque Caerdhan, qui fut martyrisé par les habitants de l'île. C'est leur premier acte de foi et certains restent au sein de l'Eglise de Valdiria après ce pèlerinage.

Tyrande a conquis l'île de Peshir il y a des siècles mais n'a jamais réussi à pleinement la pacifier. Après les soldats vint le Saint Clergé, qui tenta d'initier les insulaires à la grâce et la gloire de Valdiria.
Mais les tribus Danaeriis qui résidaient sur l'île repoussèrent les prêtres des Rêves comme ils avaient combattus les soldats de Tyrande.
Caerdhan fut le premier et seul Evêque de l'île de Peshir. Son Evêché fraîchement créé, il vint sur Peshir et poursuivit l'œuvre des prêtres précédents.
C'est lors d'une révolte Danaerii qu'il choisit d'aller au devant des hostiles habitants de Peshir, seul.
Les Danaerii le capturèrent, l'enfermèrent puis enfin l'exécutèrent en le démembrant.
L'Evêque Caerdhan devint le martyr de cette l'île trop robuste pour être conquise par les armes, trop sauvage pour être apaisée par les paroles de Valdiria.

Depuis, le Saint Clergé organise des pèlerinages sur Peshir afin de raconter le sacrifice de Caerdhan et discuter des enseignements de Valdiria.


" Approche donc un peu, petite fille "
La gamine s'exécuta.
Elle avait une longue natte de cheveux noir de jais qui pendait dans son dos et des yeux d'un bleu très clair. Son visage était doux même s'il arborait une mine boudeuse. Vêtue de riches atours, elle respirait la noblesse.
Sa cape bleu azur était tenue par une broche argentée et ciselée représentant un faucon au dessus duquel se trouvait une couronne : le symbole de la famille Eldried surmonté de l'emblème royal.

L'homme qui avait interpellé la gamine était quelque peu mal à l'aise. Lui avait tout du guerrier. Il était immense, avec des bras qui faisaient penser à des troncs d'arbres. Il portait une barbe fournie et des cheveux longs et blonds. Lui aussi avait les yeux bleus, presque comme ceux de l'enfant qui lui faisait face.
Une longue balafre lui barrait le visage de haut en bas sur la joue droite, prenant sa naissance dans le cuir chevelu pour se perdre sous la mâchoire.
Lui portait un lourd manteau de fourrure, un pantalon taillé pour les voyages, des bottes de cuir de qualité et une longue épée battait son flanc.

Il esquissa un sourire alors que la gamine le regardait d'un air ennuyé en train de tenter de nouer les lacets de son manteau.
Le guerrier n'avait pas l'habitude de s'occuper d'enfants, ni de lacer leurs manteaux et encore moins lorsqu'il s'agissait de la fille de la Reine de Tyrande.

Le guerrier qui avait du s'accroupir devant la gamine se releva enfin, satisfait d'avoir redonné la dignité qui sied à une princesse.
Ladite princesse, elle, regarda les lacets de son manteau, soupira et entrepris de les renouer elle même.
Quelque peu vexé, le guerrier haussa les épaules et s'éloigna de quelques pas superviser le départ pour le pèlerinage.

Autour d'eux, toute une armée de serviteurs s'affairaient. Une demi douzaine de chariots formeraient la caravane princière et une trentaine de soldats, impeccables dans leurs tenues, se tenaient prêts au départ.
Le guerrier aboya quelques ordres ça et là pour accélérer le départ.
Il se retourna et contempla la gamine qui se débattait elle aussi avec les lacets du manteau, le front plissé de concentration.
Il sourit franchement en voyant ce spectacle. Il adorait cette gamine.

La caravane partit avec une heure de retard due à l'arrivée tardive d'un bailli royal chargé de représenter le Roi au cours du voyage... ce qui mit le guerrier en rogne contre tout le monde.
Le convoi avait quitté Lindoriel, la capitale du royaume et serpentait maintenant paresseusement à travers la campagne automnale de Tyrande.
Le guerrier se trouvait à cheval à côté du chariot transportant la fillette lorsqu'il entendit celle-ci l'interpeller à travers la portière.

" - Ralhan... Pourquoi dois je aller sur Peshir ! On dit que les gens de la bas sont féroces et malveillants !
Le guerrier soupira alors que la gamine se penchait à moitié hors du chariot pour discuter.
- C'est un pèlerinage. C'est une chose importante pour une princesse.
- Je ne vois pas en quoi ! Ma mère n'est pas prêtresse et elle dirige le royaume tout de même !
- La Reine Sérianne, ta mère, a effectué aussi ce pèlerinage lorsqu'elle avait ton âge. Le pèlerinage est important parce qu'il permet de comprendre qui est Valdiria et ce qu'elle nous enseigne.
- Mais je serai Reine plus tard et pas prêtresse alors à quoi cela sert-il ?
- Tu seras Reine oui. Mais la sagesse d'une Reine se trouve aussi dans la religion et la foi.
- Mais c'est dangereux comme île. On dit que les Danaerii sont aussi féroces que les guerriers des clans Vanirin.
- Peut être... Je ne sais pas. Je n'ai plus été sur Peshir depuis mon pèlerinage et à l'époque, tout s'est bien passé.
- Tu as été la bas toi aussi ?
- Evidemment. Que croyais tu ? Que c'est quelque chose que l'ont te réserve à toi uniquement ?, fit il en riant.
- Et bien... Je n'y avais jamais pensé. Mon père a été la bas aussi ?
- Oui, il y a été.
- Je me demande s'il aurait été d'accord que je perde du temps en allant en plein hiver sur une île perdue au large des côtes et remplies de barbares.
- Il aurait été, petite fille. C'est quelque chose que toute princesse se doit d'accomplir, plus que tout autre enfant.
La princesse Jadrien Eldried se rassit dans son chariot un moment, pensive. Ralhan espérait que sa batterie de questions était terminée mais il la connaissait bien et en doutait. Aussi ne fut-il pas surpris lorsqu'elle revint à la charge.
- Quand rencontrerons nous l'Evêque Drogon ?
- Après demain, lorsque nous serons sur la côte.
- Pourquoi l'Evêque vient il avec nous ? Il est déjà prêtre, ça ne lui sert à rien ce pèlerinage ! ?
- Je suppose que cela lui rappelle quels ont été les sacrifices des prêtres à travers les siècles.
- j'ai l'impression qu'il va pleuvoir.
Un instant décontenancé par le commentaire de la fillette, Ralhan regarda ensuite le ciel. Gris et chargé de nuages, la princesse prédisait sans doute à raison une prochaine averse.
Ralhan remercia avec amusement la Dame des Rêves, Valdiria, de lui fournir une occasion d'interrompre l'interrogatoire et se tourna vers la princesse.
- Rentre dans le chariot maintenant, Jadrien. Tu as raison, il va pleuvoir. "

Le convoi continua son chemin sous une légère mais constante averse qui rendait boueux le chemin. Ralhan n'eut plus à répondre aux questions de Jadrien et plaignit silencieusement l'Evêque Drogon, qui allait devoir vraiment y répondre, lui.
Jadrien Eldried, fille unique de Sérianne Borthan Eldried, Reine de Tyrande, était une vraie peste ces temps ci. Mais Ralhan ne pouvait s'empêcher d'aimer la gamine. Peut être même plus qu'il n'aimait Sérianne elle même...

Le convoi princier arriva effectivement deux jours plus tard à la ville côtière de Lar Toll. L'Evêque avait été retardé et ne serait là que le jour du départ en bateau vers l'île de Peshir, soit deux jours plus tard.
Ces deux journées, Ralhan les passa avec Jadrien. La fillette était un peu apeurée à l'idée d'aller sur l'île de Peshir et il tentait de la rassurer comme il le pouvait.
Malgré la pluie, il l'emmena visiter la ville et le port de pêche. Il lui montra les blanches nefs de l'Eglise qui allaient et venaient entre le port et Peshir.
Le Saint Clergé était le seul à maintenir une activité maritime régulière entre Peshir et le continent. Ralhan ne comprenait pas trop pourquoi mais il semblait que l'île soit vraiment importante pour les prêtres.
Certes, le martyr de l'Evêque Caerdhan faisait de Peshir un lieu sacré mais que le Clergé s'acharne ainsi à vouloir enseigner le dogme de Valdiria aux barbares Danaerii le laissait perplexe.
Jadrien s'amusa bien durant ces deux jours, oubliant le pèlerinage. Mais la vieille de l'arrivée de l'Evêque Drogon, elle fut reprise par l'inquiétude.
Elle s'endormit tard ce soir là et le grand guerrier la veilla avec tendresse, comme un père qui veille sa fille, la contemplant, endormie et apaisée par le sommeil.

Le lendemain matin, Jadrien fit tout son possible pour simuler la maladie puis le manque de sommeil et enfin tenta de faire valoir son autorité de princesse. Tout pour éviter de rencontrer l'Evêque Drogon et d'avoir à accomplir le pèlerinage.
Ralhan se voulait inflexible car il s'était attendu à ce genre de comportement mais il se laissa tout de même attendrir par la détresse de la fillette et inventa diverses excuses pour délayer la rencontre afin qu'elle ait le temps de se calmer. Il déploya des trésors de patience et de gentillesse pour convaincre la fillette.
Ce n'est qu'en début d'après midi que Ralhan dut hausser la voix pour que la princesse Jadrien finisse par se résigner à son sort, comprenant que sans cela celle-ci délayerai sans cesse la rencontre.

La princesse Jadrien Eldried et le chevalier Ralhan Sadanvor attendirent l'Evêque Drogon dans l'une des résidences royales de la côte, non loin de la ville.
Au dehors, l'orage grondait et l'on parlait de reporter le départ du prochain navire pèlerin pour Peshir à cause des conditions météorologiques et ce au grand plaisir de Jadrien qui voyait dans la tempête qui approchait un échappatoire au pèlerinage.

Puis un serviteur portant la livrée de la Maison Eldried vint annoncer l'arrivée de Son Excellence l'Evêque Drogon.
Ce dernier entra dans la pièce réservée aux réceptions des invités quelques minutes plus tard.
Il portait une robe de cérémonie d'un blanc immaculé, juste rehaussée de touches de bleu pâle aux bords, un pendentif d'argent ciselé de 7 étoiles en cercle battait sa poitrine et il s'appuyait sur un bâton ouvragé dont l'utilité résidait dans le symbole plus que dans l'aide à la marche.
L'Evêque était âgé d'une quarantaine d'années qui avaient été clémentes avec lui. Ses cheveux bruns étaient coupés très courts, ce qui était la tradition à Tyrande pour les prêtres.
Il avait un regard doux qui laissait transparaître une confiance à toute épreuve et un calme intérieur absolu.

Derrière lui se pressaient quatre acolytes vêtus eux aussi de la robe cléricale mais sans décorations. Il suivaient l'Evêque dans un silence complet.
Ralhan aurait pu douter de leur présence s'il ne s'était fié qu'à son ouïe.

Jadrien se leva lentement, impressionnée par le personnage et se présenta la première, comme il se devait :
" - Je suis la princesse Jadrien de Tyrande, de la maison Eldried, fille de Ruormad Eldried et Sérianne Borthan.
Soyez le bienvenu dans ma demeure, Excellence.
L'Evêque s'inclina.
- Drogon, du Saint Clergé de Valdiria, Evêque de Lithriel. Je suis honoré d'être en votre présence, Princesse.
Puis ce fut le tour du chevalier, qui s'inclina avec un respect qui surprit Jadrien.
- Je suis Ralhan Sadanvor, chevalier de Tyrande et Comte de Sadanvor.
L'Evêque s'inclina en réponse devant Ralhan puis porta son attention sur Jadrien.
- Je suis ravi que vous participiez au pèlerinage Princesse. Sachez que j'ai éprouvé une grande joie en apprenant que vous seriez des nôtres cette année.
Alors que Jadrien allait répondre, Ralhan lui lança un regard autoritaire.
Et la princesse ravala son opinion sur le sujet. Elle se dandina quelques secondes sur ses pieds, indécise sur le comportement qu'elle avait le droit d'adopter.
- Hum... Souhaitez vous vous restaurer, Excellence ? Je me souviens que le voyage est long depuis Lindoriel, demanda-t-elle
- Je dois admettre qu'effectivement, un repas me ferait le plus grand bien à moi et mes acolytes.
Ceux ci, complètement ignorés par la conversation, se manifestèrent enfin, quoique toujours silencieusement, par des regards de gratitude envers la princesse.

Le repas servi fut copieux peu après car Rahlan avait donné les ordres aux cuisiniers en prévision de l'arrivée des invités de l'Eglise et il rassasia son Excellence et son entourage.
L'ambiance restait morose, cependant, et la pluie qui battait continuellement la villa royale ne rehaussait pas l'humeur des convives.
Si Jadrien s'imaginait que les prêtres pratiquaient la modération en matière de repas, elle ne put que constater que la majorité d'entre eux, y compris son Excellence, était doté d'un fameux appétit.

C'est au crépuscule, alors que la nuit commençait à envelopper doucement Tyrande, que la princesse, le chevalier Rahlan et l'Evêque Drogon du Saint Clergé de Valdiria se retrouvèrent dans le salon de la villa.
Par la grande fenêtre, on pouvait voir l'océan, dont l'horizon prenait des teintes mordorées.
C'était une pièce fort agréable, pourvue de fauteuils confortables, qui invitait à un dialogue calme et à la réflexion.

La princesse n'était pas à son aise face à l'Evêque, elle ne cessait de se lever, aller à la fenêtre, se rasseoir, proposer un peu de vin au prêtre, s'enquérir de la météo anticipée par Rahlan, demander aux serviteurs si les compagnons de route de l'Evêque étaient bien installés pour la nuit et ainsi de suite.

C'est Rahlan qui finalement invita, fermement, la princesse à s'asseoir et se préparer à l'entretien. La voix du massif guerrier ramena la fillette dans un fauteuil face à Drogon.

Puis, enfin, elle se décida à aborder les sujets qui avaient amené Drogon jusqu'à elle.

Prenant une profonde inspiration, elle interrogea :
" - A quoi sert le pèlerinage, Excellence ?
L'Evêque sourit. Cette question était bien évidemment la première que lui posaient tous les jeunes gens qu'il rencontrait.
- Ce pèlerinage est un acte de foi envers notre Dame des Rêves, la déesse Valdiria. Il sert à comprendre ce que nous sommes, ce que nous devons faire et de quelle manière.
- Mais pourquoi sur Peshir ? C'est une île désolée, vide et peuplée de barbares ! Pourquoi ne pas rester à Lindoriel, la Cathédrale la bas est immense !
L'Evêque sourit en voyant le dégoût que ne parvenait pas à masquer Jadrien.
- Le pèlerinage se déroule sur l'île de Peshir car c'est là que vous comprendrez ce qu'est être Prêtre, ce qu'est le sacrifice de sa vie pour l'amour de la déesse.
Il s'apprêtait à poursuivre mais la fillette l'interrompit, ce qui provoqua un regard de reproche de la part du chevalier.
- Mais la déesse ne nous aime pas si l'on ne va pas la bas ?
- Valdiria protège toutes les créatures intelligentes, berce leurs rêves. Non, Valdiria ne requiert pas que nous allions sur cette île. Mais en y allant, Princesse, en apprenant le sacrifice de vos aînés, vous comprendrez mieux ce que Valdiria attend de nous.
Saint Caerdhan périt sur l'île de Peshir, martyrisé par ses habitants qui refusèrent d'écouter ses sages paroles. Cette île est un symbole. Elle incarne ce que nous étions avant, aveugles aux sages enseignements de la déesse, elle incarne le sacrifice que nous devons faire pour être en harmonie avec la Création et elle incarne aussi le rôle que nous est confié soit apprendre aux autres peuples comment vivre pour créer et non vivre pour détruire. Les habitants de Peshir ne sont pas fondamentalement mauvais en eux mêmes et ils vénèrent divers dieux mais jamais le Dieu Noir. Cependant, la voie qu'ils suivent est violente et destructrice. En les fréquentant et en voyant leurs cultes, vous comprendrez le rôle du prêtre de Valdiria dans ce monde.
Septique, la princesse répliqua :
- Eux vénèrent d'autres dieux mais pourquoi, nous Arinlins, ne vénère-t-on que Valdiria ?
- Nous ne vénérons pas que Valdiria mais la Création dans son ensemble. Les autres Dieux ont droit à notre respect et notre loyauté également.
Valdiria nous a toujours protégé, elle nous a aidé par le passé, nous Arinlins, lorsque nos ancêtres traversèrent de dures épreuves et nous garda sur les voies de la Création. Pour cela, nous lui dédions un respect particulier.
Jadrien resta pensive un moment et l'Evêque se garda bien de troubler sa réflexion.
- Pourquoi Valdiria ne vient elle pas à Tyrande ?
La question désarçonna Drogon un instant. Il resta surpris par la question. Visiblement, il n'était pas préparé à celle-ci. Après une très courte réflexion, il répondit :
- La Dame des Rêves inspire un nombre incalculable de mortels à travers Hannoerth. A chaque fois que quelqu'un est perdu dans ses pensées, imagine de nouvelles choses et est inspiré pour créer, Valdiria était avec lui. Si elle venait parmi nous, plus personne n'aurait d'inspiration. Ce serait fort dommage non ?
Son rôle est d'inspirer les mortels et de les protéger. Qui sait aussi si Kandahar Ghor, le Dieu Noir, ne profiterait pas de son absence dans son royaume céleste pour accomplir quelque malveillance ?
Jadrien ne paraissait pas, cette fois, particulièrement convaincue par la réponse du prêtre.
Le chevalier Ralhan intervint :
- Les rois et les reines ne descendent pas tous les jours dans les champs pour partager la vie des paysans, princesse. Ils ont leur occupations, royales, leurs soucis et leurs responsabilités. Vous devez accepter que la déesse a les mêmes devoirs et ne peut descendre parmi nous. Lorsque vous serez reine, vous comprendrez cela aisément.
L'image beaucoup plus pragmatique du guerrier sembla contenter la princesse qui hocha la tête pour signifier qu'elle acceptait la réponse.
Le silence s'installa dans la pièce. Seul le bruit de la pluie, maintenant douce, troublait la quiétude de l'endroit.
Puis, la princesse reprit ses interrogations :
- J'ai vu dans la Cathédrale qu'il y a des alcôves consacrées aux autres dieux. Pourquoi ne faisons nous pas de pèlerinage pour eux ? Mais juste pour Valdiria.
La question arracha l'Evêque à ses pensées :
- Il existe des pélerinages pour les autres dieux, Agnan, Dinyris, Eylandrah, Eleriem, Hanu et Prélia. Celui consacrée à Valdiria est juste le plus important car la déesse est celle qui protège notre pays, notre peuple et nos âmes.
- Mais vous pourriez être les prêtres de tous ces dieux ? Pourquoi juste de Valdiria ? Sont ils moins importants ? Plus faibles ?
- Agnan est Le Céleste. Il règne dans les airs et combat l'Ombre tous les jours pour que Prélia, la déesse de l'Aube puisse irradier Hannoerth de sa clarté.
Dinyris est le Nourricier, celui qui rend la vie possible. Eleriem protège et fait prospérer les animaux.
Eylandrah est le Feu Mystique d'Hannoerth, elle est la source de nos âmes. Sans elle, nous serions sans doute semblables aux bêtes. Et Hanu est le Vent Divin, le compagnon d'Agnan, il souffle sur la Création et observe toute chose afin que la Création soit respectée. Valdiria est le Rêve, l'imagination, l'espoir.
Prélia, Eleriem et Dinyris, par leurs pouvoirs réunis, permettent à la vie dans son ensemble de fructifier. Eylandrah vint dans la Création pour doter certaines créatures d'une âme et d'une intelligence. Valdiria donna à ces créatures intelligentes la faculté d'imaginer et donc d'oeuvrer à la poursuite de la Création. Faragahn surveille le tout et appelle Agnan lorsque la Création est bafouée.
Voyez vous, les dieux sont tous importants pour qu'Hannoerth existent. Sans eux, la Création aurait dépéri, périclité et disparu.
Nous rendons un hommage particulier à Valdiria car elle apporta l'espoir à notre peuple alors que nous vivions de dures époques. Elle éclaira nos coeurs et nous donna un but. Elle nous protégea des Ténèbres qui tentèrent de nous engloutir.
Pour répondre enfin à votre question, nous sommes, en fait, des prêtres de tous ces dieux. C'est juste que notre foi en la Création s'exprime plus par l'adoration de la déesse Valdiria, à qui nous devons une gratitude plus grande qu'aux autres.
- Mais les Danaëriis qui vivent à Peshir ne vénèrent pas ces dieux, n'est ce pas ? Alors, qui sont les autres Dieux ?
- Lorsque les Dieux créèrent les Devas pour les aider dans la Création, certains furent investis d'un grand pouvoir.
Après la trahison de Lydanros qui devint le Seigneur des Cauchemars et se fit appeler Kandahar Ghor, certains de ces Devas, emplis de compassion, restèrent sur Hannoerth pour nous aider.
Certains peuples les considèrent, à tort, comme des Dieux. Il est vrai qu'ils accordent de grands pouvoirs à ceux qui les respectent mais ils ne sont pas des divinités.
Lorsque nos ancêtres Arinlins vivaient encore dans la Grande Plaine d'Ehrin, ils rendaient hommage à certains de ces Devas, les croyant Dieux. Certains Arinlins d'alors se dirent prêtres de ces dieux et guidaient leur peuple sur des voies sages. Mais d'autres avaient une vision faussée de la Création.
Il faut comprendre que tout divins qu'ils soient, ces Devas qui se disent dieux sont si éloignés des véritables dieux, depuis si longtemps, que souvent, ils confondent leur pensée avec celle de leurs créateurs, leurs buts avec la Création.
Coupés de la conscience véritable de la Création, ils choisissent souvent des voies parallèles et qui sont parfois perverties par leur expérience de notre monde.
Jadrien fronça les sourcils de perplexité à ces propos. L'Evêque sourit et précisa :
- En d'autres termes, ces Devas croient parfois oeuvrer à la Création mais font malheureusement souvent le jeu des Frayeurs et des Cauchemars. La douleur de ce qu'ils ont vécu et vu leur fait parfois prendre de mauvaises décisions.
- Les autres dieux sont mauvais alors ?
- Pas nécessairement. Ils peuvent être consultés car ils connaissent de grands secrets et peuvent aider à la Création mais certains sont devenus insouciants, irresponsables et, effectivement, parfois même malveillants.
Il y eut une longue pause durant laquelle la princesse réfléchit à tout ce que venait de lui dire l'Evêque. La nuit était maintenant presque tombée et Ralhan appela des serviteurs pour que ceux ci viennent allumer les candélabres.
La fillette reprit :
- Pourquoi les Dieux ne viennent ils pas tuer Kandahar Ghor ?
- Intéressante question, princesse.
Nos Dieux sont les incarnations de la Création, ils ne peuvent détruire ou tuer ainsi car cela irait contre leur essence, leur nature. Kandahar Ghor, lui, incarne la destruction et la mort, c'est pourquoi il a pu venir dans notre monde et anéantir le continent d'Elaerth. Nos Dieux peuvent se battre pour défendre la Création mais pas pour anéantir.
- Je ne comprends pas. Ils nous défendent ? Mais s'ils tuaient Kandahar Ghor, ils empêcheraient la Création d'être menacée !
- Tu dois penser à l'origine, la raison de l'acte pour comprendre. Si des Frayeurs surgissent pour nous détruire, Valdiria nous aidera, les autres Dieux nous aideront sans doute aussi, et tueront les Frayeurs. Cependant, en attaquant Kandahar Ghor, ils iraient contre la Création. Kandahar Ghor fut Lydanros avant de devenir fou et il fait partie de la Création. C'est cela sa force. Il nous menace tous mais les Dieux ne peuvent rien contre lui.
Les Frayeurs, elles, viennent de lieux innommables, appelées par Kandahar Ghor, elles ne font pas partie de la Création. Ce sont des aberrations qui ne devraient pas être dans notre monde.
Ce qui prend sa source dans la Création, même si cela propage le mal et les ténèbres, ne peut être détruit pas les Dieux.
- Mais, peut on tuer Kandahar Ghor ? Il est peut être trop fort et c'est pour cela que les dieux ne l'affrontent pas ?
- Les dieux ne le peuvent pas parce que ce sont les dieux justement. J'imagine qu'un mortel n'est pas bloqué par cela mais Kandahar Ghor reste toujours une créature très puissante. Je doute en fait qu'il puisse être tué par un mortel.
De toutes façons, il est dangereux de tenter de combattre les ténèbres par la mort et la violence car ce sont des voies obscures. Je préfère croire, qu'un jour, Kandahar Ghor abandonnera son rôle de destructeur. C'est pour cela que nous devons suivre la voie de Valdiria, pour lui prouver que sa folie est vaine et ne détruira pas la Création. En étant plus forts que lui, nous mortels, nous pouvons le convaincre d'arrêter de lutter contre la Création.
Jadrien n'était pas convaincue et poursuivit :
- Pourquoi les Dieux ne peuvent ils pas l'empêcher d'agir, alors ? S'ils ne peuvent pas le tuer, qu'ils l'emprisonnent !
- Mais ils le font, Princesse. A chaque fois qu'un prêtre de Valdiria bénit un lieu, une cérémonie, apaise les souffrances, à chaque fois qu'un artiste est inspiré et créé quelque chose de magnifique, à chaque fois que quelqu'un aide à la Création, vous devez voir le soutien des Dieux. Ils nous aident en cela et ainsi, ils réduisent les possibilités d'agir de Kandahar Ghor. En fait, le Dieu Noir, lorsque nous refusons de le servir et que nous appelons la bénédiction des dieux, est rejeté hors de la Création. Nul besoin d'emprisonner quelqu'un qui ne peut vous nuire. Ou, d'un certain point de vue, vous pouvez considérer qu'il est déjà emprisonné car hors de la Création.
La princesse n'était vraiment pas convaincue par les propos de l'Evêque et fronça les sourcils de septicisme.
- Pourquoi Kandahar Ghor souhaite-t-il nous tuer ? Comment un dieu peut il lutter contre la Création puisqu'il en est à l'origine ?
Drogon soupira longuement. Visiblement, cette question le taraudait également.
Le chevalier se dit qu'il était bien malmené par la princesse. Elle posait des questions auxquelles les plus saints des hommes avaient du mal à répondre.
- Lydanros est devenu fou. Il s'est imaginé que la Création ne serait jamais terminée et a décidé que tous devaient oeuvrer plus vite à sa finalisation ou alors il détruirait tout. Mais personne ne sait vraiment ce qui est arrivé à Lydanros. Valdiria a été très attristée par la Chute et ne nous répond jamais lorsque nous lui demandons ce qu'il s'est passé.
Certains Devas, il y a longtemps, lors de l'Âge Mythique, ont révélé à nos ancêtres que Lydanros trouvait que nous, mortels, n'étions pas ceux qui convenaient pour achever la Création et décida de nous tuer.
- Il est vraiment fou alors...
Jadrien se dandina un moment dans son fauteuil et continua l'interrogatoire de l'Evêque :
- Que se passe-t-il lorsqu'on meurt ?
- Tout le monde se pose cette question, princesse.
Si vous respectez la Création et si vous avez vécu dans la voie de Valdiria, la Dame des Rêves vous accueillera dans son royaume céleste ou, égal aux Devas, vous continuerez à oeuvrer à la Création en inspirant ceux qui vivent encore.
- Mais à quoi ressemble le royaume de Valdiria ?
- Oh... Personne ne le sait vraiment. C'est difficile à expliquer à une fillette en quelques phrases. Nous y reviendrons plus longuement lors du pèlerinage.
Mais, pour vous répondre tout de même, sachez que dans le royaume céleste de la déesse, votre créativité n'est plus limitée par votre corps, par votre force, votre endurance, la fatigue ou la maladie. Vous pouvez l'exprimer de manière pure. Beaucoup des fidèles de la déesse deviennent nos inspirateurs, à travers nos rêves et continuent de nous aider, nous protéger et nous conseiller.
- Expliquez moi pourquoi je peux être Reine ou Prêtresse mais pas les deux ?
Drogon sursauta. La question de la princesse lui faisait quitter le champ de la théologie soudainement pour le ramener à la réalité.
Peu à l'aise, il répondit :
- hum... C'est une décision du Conseil Royal de Tyrande. La Prêtrise ne peut régner. , cita-t-il comme on cite un livre.
Ce fut le chevalier qui vint au secours de l'Evêque décontenancé.
- Cela n'a rien d'étonnant, princesse. Pour administrer le pays, il faut se répartir la tâche. Nul ne pourrait être un bon roi, un bon prêtre et un bon mage en même temps. Donc, le Conseil Royal a décidé que les rôles seraient répartis.
Alors que Jadrien réfléchissait à la réponse de Ralhan, le chevalier et l'Evêque se regardèrent un moment.
Ce que Ralhan venait de dire était faux. Ou plutôt, c'était l'excuse qui avait été invoquée par le Conseil Royal, il y a longtemps. Mais la vérité n'était pas si simple. Mais l'un et l'autre n'étaient pas prêts à jeter la jeune princesse au milieu des conflits de pouvoirs du royaume et à lui expliquer les conflits d'intérêts des Ducs, Evêques et des Mages. Elle deviendrait reine un jour. Et elle aurait tout le temps de comprendre... Nul besoin de la troubler si tôt.
La fillette revint à la charge :
- Excellence, si tout le monde suit les enseignements des dieux, pourquoi n'allons nous pas voir les autres peuples pour être tous ensembles face à Kandahar Ghor ?
- Ce serait l'idéal. Cependant, beaucoup de choses interviennent sur Hannoerth et divisent les gens. C'est d'ailleurs pour cela que vous effectuez ce pèlerinage. Pour comprendre les autres peuples et comprendre comment dialoguer avec eux. L'Evêque Caerdhan, sur l'île de Peshir, périt en tentant de dialoguer avec les Danaëriis. Cependant, son sacrifice ne fut pas vain. Son modèle inspire beaucoup de jeunes gens de Tyrande, leur fait comprendre que l'enseignement de Valdiria, lorsque dispensé aux autres, peut finalement permettre une union de tous les peuples dans la Création et face au Dieu Noir.
L'exemple de Caerdhan est un symbole. Nous n'espérons pas que nos jeunes prêtres se fassent tuer comme lui mais qu'ils comprennent le but de nos missions et jusqu'où la dévotion à Valdiria et à la Création peut vous pousser. L'Evêque Caerdhan de Peshir décida de pousser sa dévotion jusqu'au sacrifice. C'est un acte grave mais qui montra sa détermination.
Nous ne requérons pas le même sacrifice de nos prêtres mais qu'ils comprennent l'acte et la décision de Caerdhan. "
La princesse se tut. Ralhan s'attendait à voir cette dernière repartir avec une batterie de questions mais, curieusement, ce ne fut pas le cas.
L'Evêque décida alors de parler de la vie des prêtres de Valdiria, de leurs rôles, de leurs devoirs et de leurs droits.
Il fit un historique complet du Saint Clergé, des premières conversions des guerriers Arinlins par les Danaëriis de Lithriel jusqu'à la création des Evêchés en passant par l'épisode des conversions massives décidées par Pernangal Borthan, le conquérant, un des ancêtres de Jadrien.
La jeune princesse écoutait avec attention, captivée par ce discours qui tenait du cours d'histoire de son peuple, de sa famille, de sa position sociale et des implications que représentait la prêtrise et les serments d'adoration de Valdiria.
Elle fut émerveillée par le discours sur la majesté des Cathédrales de Valdiria et la symbolique de leur construction, surprise de réaliser ô combien les prêtres étaient impliquées dans la vie quotidienne des Arinlins.
Mais l'énumération des règles de vie dans les monastères fut trop pour son jeune corps et elle s'endormit dans son fauteuil sans que l'Evêque ne le réalisa.
Le chevalier était amusé par ce dernier spectacle. L'Evêque essayait de transmettre toute la passion qu'il avait pour la déesse à une enfant endormie. Il était tellement enflammé par son propre discours qu'il n'avait pas remarqué l'assoupissement de la princesse.
La nuit était maintenant tombée et Rahlan suggéra tranquillement au prêtre d'arrêter l'enseignement pour ce soir.
Drogon fut un peu confus de réaliser que la princesse dormait à poings fermés et bredouilla son acquiescement.

Un serviteur vint emporter doucement Jadrien vers sa chambre.
Drogon et Rahlan restèrent dans le salon, pensifs.
Quitte à écorner sa propre dignité, l'Evêque sortit, presque de manière coupable, une pipe d'une de ses poches et l'alluma avec un sourire espiègle. Rapidement, une senteur de tabac Ulghar emplit la pièce.

" - Je crois que j'ai présumé des forces de la princesse Jadrien, chevalier.
- C'est une enfant. Et vous avez tout le pèlerinage pour la convertir à vos vues.
- Vous désapprouvez mon enseignement ?
- Non, pas du tout. L'honneur et le respect de Valdiria sont sans doute les deux choses les plus importantes pour une future reine. Je ne voulais pas dire cela.
- La princesse est attentive à beaucoup de choses. Ce sera un plaisir de participer à son pèlerinage.
- C'est un plaisir que d'être en présence de la princesse. C'est une enfant adorable. Quoiqu'un peu têtue.
- Est elle têtue ou simplement peu influençable ? beaucoup d'enfants se contentent de boire les paroles des prêtres lors du pèlerinage. Elle, cherche à comprendre. Je crois qu'elle fera une bonne reine.
- Sans nul doute. Et son mari fera mieux d'être prêt à se battre pour avoir l'impression d'être roi. Elle a tout de sa mère.
- La reine Sérianne est admirable par sa volonté et sa maîtrise des affaires du royaume. Je me demande si elle se serait contentée d'un rôle secondaire si le roi était toujours parmi nous.
- Peu probable. Sérianne est née pour régner. Elle accepte avec difficulté d'être contredite.
Si Drogon aperçut l'éclat de passion dans les yeux du chevalier lorsqu'il parlait de la reine Sérianne, il fut assez discret pour ne pas en parler.
- Bien... Je vais finir ce succulent tabac Ulghar et je vais prendre du repos. La traversée vers l'île de Peshir est turbulente en cette saison.
- J'espère que vous avez une réserve de ce tabac, Excellence. Les cols de Farnalost sont fermés au commerce depuis peu. Les nains contestent le volume des taxes prélevées par le Comte de Danarra et ont décidé ne plus autoriser les échanges à travers leurs montagnes jusqu'à de nouvelles négociations.
L'Evêque sourit.
- Mon bon ami l'Evêque Dernel Castarel d'Astiran dispose d'une réserve conséquente. C'est une passion que nous partageons.
- Le Saint Clergé n'est jamais à court de ressources.
- Rarement... "
Sur ces mots, le chevalier Ralhan Sadanvor prit congé de l'Evêque et se prépara pour la nuit.
L'Evêque Drogon termina tranquillement de fumer son tabac. A travers la fenêtre, il contempla les étendues océaniques qui luisaient sous la lune. La lune, manifestation de la bienveillante protection de la déesse Valdiria qui donnait clarté et espoir dans les ténèbres de la nuit.