L'Ancien

 

Depuis la défaite du royaume de Tyrande sur la terre de son peuple, Anghalon, membre éminent du Cercle Vert, sentait plus que jamais le poids des années. Il aurait pu passer pour un prêtre Vanirin parmi tant d'autres. D'une taille très moyenne, voire même un peu petit, un visage commun mangé par une barbe sombre courte et taillée, des cheveux tombant à peine sur ses épaules comme beaucoup d'hommes de son peuple, un physique ordinaire, Anghalon se distinguait surtout par sa parole car il avait une voix impérieuse qui invitait à l'obéissance.
Mais personne ne savait qu'Anghalon était aussi l'un des membres les plus écouté du Cercle Vert.

Le Cercle était un groupe de prêtres Vanirins qui dirigeait plus ou moins ouvertement la destinée des clans. Communauté magique, elle avait traversé les siècles sans pratiquement aucun changement. Il avait existé quatre autres Cercles à travers Hannoerth. Deux d'entre eux n'étaient maintenant plus que de sinistres parodies de leur gloire passée et Anghalon les méprisait.
La nature des Cercles était mystique. Ils regroupaient des prêtres qui se dévouaient à la Création, ce que les Arinlins de Tyrande appelaient l'Antique Foi. L'image du Cercle n'était pas fortuite car les membres des Cercles se considéraient comme des égaux mais, surtout, chaque Cercle disposait d'une figure incontournable, centrale, une créature fabuleuse, qui incarnait la Création à ses yeux.
Anghalon était l'interlocuteur unique de cette créature pour le Cercle Vert. Il ne l'avait pas véritablement choisi. Des siècles auparavant, il fut choisi par l'Ancien, cette créature autour de laquelle gravitait le Cercle Vert.
Le prêtre avait été l'un des descendants d'Eorghan Kholnir, le grand vainqueur des Lambriens, les habitants de la Lande Fertile, désormais terre des Vanirins. A cette époque, il se nommait Haloric Kholnir et était un prêtre vénérant les étoiles.
Depuis la victoire des Vanirins sur les Lambriens, l'Ancien avait perçu que les membres de son Cercle devaient changer, que les Vanirins allaient être les nouveaux maîtres de la région et avait réagi en conséquence. Les Lambriens qui composaient le Cercle Vert furent, génération après génération, remplacés par les Vanirins.
Haloric avait été convoqué par l'Ancien. Cela avait été un désir insurmontable de s'enfoncer dans les terres sauvages du nord de Thyrann, jusquà ce qu'il le trouve. L'Ancien ne lui avait pas laissé le choix. Il lui fallait un interlocuteur pour relayer sa volonté au Cercle Vert. L'Ancien était si loin de la pensée humaine qu'il ne pouvait se permettre de devoir composer avec différents membres du Cercle, il n'avait pas non plus la patience de recommencer son enseignement, génération après génération. Il lui fallait un interlocuteur aussi immortel que lui et son choix s'était porté sur Haloric Kholnir.
Haloric s'était senti honoré par une telle attention. L'Ancien représentait, à ses yeux, la Création incarnée, un dépositaire de connaissances énormes. Il avait alors accepté avec fierté de devenir son Serviteur.

Au sein du Cercle Vert, la position de Serviteur n'était pourtant pas véritablement plus estimée que les autres. Cela était la volonté de l'Ancien. Haloric avait alors déchanté quelque peu mais se réjouissait de son immortalité, ce qui était pour lui le Don ultime que la Création pouvait lui apporter.
Et pourtant, la mort est inévitable. Haloric n'était pas tout à fait immortel comme on peut l'imaginer car aucune race consciente de la Création ne peut l'être.
Haloric Kholnir vécut jusqu'à un âge très avancé. Et lorsque la mort vint le chercher, les Vanirins pleurèrent son départ.
Le Don de l'Ancien n'était cepdndant pas une supercherie. Par sa puissance, il préserva l'esprit d'Haloric qui, alors, se réincarna dans un nouveau né.
Haloric croyait à la réincarnation. Pour lui, toute chose qui disparaissait de la Création lui revenait sous une forme ou une autre. Il ne croyait pas en la destruction ultime, l'anéantissement total de l'existence et de l'esprit.
Mais ses réincarnations étaient différentes car Haloric gardait la mémoire de sa vie passée, puis de ses vies, avec la plus grande lucidité. Cela l'avait troublé dans un premier temps, de se retrouver dans le corps d'un enfant avec l'expérience et la sagesse de vies antérieures. Mais le Cercle Vert prenait toujours soin de lui. Curieuse assemblée alors, à chaque fois, durant une dizaine d'années, que tous ces prêtres âgés discutant religion et mysticisme avec un enfant dont le savoir surpassait souvent le leur.
Immortel, Haloric l'était au sens propre du terme. Car s'il avait toujours cru à l'immortalité de l'esprit, il s'agissait là de l'immortalité de la conscience et de sa personnalité.
Haloric le Serviteur traversa les âges, les siècles. Il garda toujours le nom choisi pour l'enfant dont il habitait le corps après chacune de ses morts.

Ses sentiments vis à vis de l'Ancien avaient été aussi nombreux que ses vies successives. Il le vénéra, puis le soupçonna de sombres projets, mis en doute sa nature divine, revint à l'adoration pour enfin, depuis les deux dernières vies, ne plus voir en l'Ancien qu'une créature qui avait besoin d'un confident, d'un repère à travers les âges.
Anghalon se sentait usé. Le Don de l'Ancien n'était finalement pas si magnifique. Bien sûr, il avait parcouru Hannoerth dans toute sa splendeur plusieurs fois, ayant eu tant de vies pour le faire, il avait même été explorer Elaerth, la terre maudite, ainsi que des endroits qu'aucun peuple ne connaissait.
Et pourtant, quelle quantité de souvenirs un humain, aussi immortel soit il, peut il garder ?
L'Ancien n'était pas humain et sa mémoire était parfaite. Il se souvenait de détails insignifiant avec une clarté divine. Mais lui... Il se surprenait parfois à s'émerveiller devant un paysage, devant la Création pour finalement se rendre compte, après coup, qu'il était déjà venu, avait déjà vu ou connu ces choses mais que son esprit n'était pas celui de l'Ancien.
Le Serviteur oubliait car il n'était qu'un humain. Il se retrouva trop souvent à son goût dans la situation où il réapprenait les mêmes choses, revivait les mêmes expériences. S'il devinait qu'il avait déjà découvert ces choses, sentiment fleurtant constamment à chaque réincarnation, il était réduit à devoir les réapprendre encore et encore.
Il en était devenu blasé. Il ne se fiait plus à sa mémoire qui avait vu plus de cinq siècles défiler.
Certaines choses lui restaient toujours, à chaque incarnation, car elles étaient l'essence du Serviteur et, sans doute, l'Ancien le voulait-il ainsi. Curieusement, il s'agissait toujours des connaissances les plus ésotériques et rarement des choses simples de la vie.
Le Serviteur était dans une détresse profonde à chaque incarnation. Et même les membres du Cercle Vert, pourtant dans la confidence de la nature extraordinaire du Serviteur, ne parvenaient pas à comprendre pourquoi un enfant capable de commander à la nature était si triste et se sentait si vide. Très souvent, d'ailleurs, ils prenaient ombrage que le Serviteur bute sur des évidences alors qu'il maîtrisait des pouvoirs sur la Création.
Il était un paradoxe immortel pour eux, connaissant des secrets qu'eux ne faisaient qu'entrevoir et incapable de nommer des plantes médicinales communes ou découvrant, comme tout enfant, le monde qui l'entourait.
Le Cercle ne comprenait que difficilement que leur Serviteur ne soit pas, dès son plus jeune âge, être cet interlocuteur si particulier. Ce n'était généralement que lorsque le Serviteur n'avait plus cette apparence juvénile que le Cercle arrêtait de s'emporter devant ces blancs dans sa mémoire. A chaque fois, tant qu'il était enfant, le Serviteur était cantonné dans le rôle d'un gosse surdoué dont on n'accepte pas le moindre échec.
Il passait ainsi toute son enfance et son adolescence à voir ses connaissances et sa mémoire être testées par le Cercle, inlassablement et se voyais parfois traité avec mépris lorsqu'il devait admettre qu'il ne se souvenait plus des sept noms secrets de Daer'Enian ou du rite précis pour rendre hommage aux esprits célestes.
Alors, pour lui, les membres du Cercle n'étaient qu'une bande de vieillards capricieux assoiffés de connaissances et de secrets qui tentaient d'extirper sa mémoire défaillante pour en profiter.
Il ne leur en voulait pas cependant. Il suspectait, occasionnellement, chez certains d'entre eux, une forme de jalousie. Eux se réincarneraient aussi mais n'auraient pas le bénéfice de se souvenir de leurs précédentes vies. Mais était ce réellement un bénéfice ?
Parfois ils les enviaient. Au moins, on ne les traitait pas comme des prophètes incapables de répondre à toutes les interrogations alors qu'ils n'avaient que cinq ans...

Anghalon était las de toute cette affaire. Mais son destin était celui du Serviteur et il n'y pouvait plus rien. Sans doute, un jour, la roue de la Création tournera une fois de plus mais en défaveur de son peuple. L'Ancien se choisira alors un nouveau Serviteur parmi les vainqueurs et le laisserai mourir.
C'est ce qui s'était produit lorsque l'Ancien lui avait fait le Don. Le Serviteur précédent, un Lambrien somme toute très respectable, avait vu son cycle de réincarnations conscientes s'arrêter. Heureux homme.
L'Ancien était d'un pragmatisme effrayant par moments. Il reconnaissait la valeur des individus sur le moment même mais ne montrait jamais de reconnaissance au delà.
Mais finalement, qu'en savait Anghalon ? L'Ancien n'était pas humain et sa pensée échappait totalement au Serviteur.

Outre son rôle d'interlocuteur unique avec l'Ancien, le Serviteur était aussi une sorte de gardien mystique pour le peuple Vanirin. Il était une légende en lui même. Bien que seul le Cercle connaisse le secret du Serviteur, il avait laissé des traces dans l'histoire Vanirin à travers les siècles.
Cela le faisait sourire d'entendre des mères tranquilliser leurs enfants en parlant de lui, de voir les chefs de clan lui offrir des présents avant les combats pour attirer sa grâce. De nombreux actes du Serviteurs étaient devenus légendes et contes puis mythes.
Anghalon le prêtre était connu du peuple. Nul ne se doutait cependant qu'Anghalon était également l'Esprit de Daer'Enian, l'esprit protecteur de la Lande Fertile, le pays des Vanirins. Le Serviteur se voyait avec curiosité recevoir des hommages telle une créature divine.
Il avait voulu lutter contre cela, lorsqu'il connut ses premières réincarnations. L'Ancien lui avait dit qu'il importait peu que les Vanirins le prennent pour une créature divine, pour un esprit de la Création. D'autre part, Haloric était réellement désormais hors de l'humanité et semblable à un esprit donc le peuple ne se trompait pas vraiment.
Le Serviteur aidait son peuple lorsqu'il le pouvait, le désirait ou en était conscient. En cela, il n'était pas différent d'un esprit qui aurait résidé sur Hannoerth depuis la Création.
Ce qui avait gêné Haloric, c'était justement que lui n'avait pas connu la Création. Il restait toujours ancré dans l'idée qu'il n'était qu'un humain, juste un humain, même si le Don le rendait immortel.
Puis, avec les incarnations qui se succédaient, le sentiment d'appartenir à l'humanité disparu chez Haloric qui devint alors réellement le Serviteur, un esprit au service de l'Ancien. Peu importait maintenant.

Anghalon allait rendre visite à l'Ancien. Celui-ci voulait le rencontrer. Ce qui tourmentait le prêtre, c'était que ce serait la troisième rencontre avec l'Ancien en moins de dix ans.
L'Ancien, créature divine hors du flux du Temps, ne le rencontrait généralement qu'une ou deux fois dans chacune de ses incarnations. L'Ancien ne maîtrisait que difficilement le concept du Temps. Le Serviteur restait, cependant, toujours conscient des désirs de l'Ancien, comme une extension mentale de ce dernier. De ses songes, de ses communions avec la Création, Anghalon devinait les désirs et les interrogations de l'Ancien. Il n'avait pas besoin de le voir physiquement pour cela.
Lorsqu'ils se rencontraient, c'était le plus souvent parce que l'Ancien souffrait de solitude. Enfin, c'était ainsi que le Serviteur le comprenait. En réalité, même lui, le Serviteur, après huit vies terrestres et des centaines d'années d'existence, n'oserait prétendre comprendre complètement l'Ancien.

L'Ancien avait plusieurs ennemis très puissants, aussi puissants que lui et certains bien plus. Le Serviteur ne comprenait que superficiellement ces inimitiés.
S'il n'avait pas côtoyé si longtemps et si personnellement l'Ancien, il les auraient attribuées à une sorte de lutte cosmique entre esprits. Mais après des siècles, il en avait fini par penser que tout aussi puissants et divins qu'elles étaient, certaines de ces créatures étaient aussi faibles moralement que l'étaient les hommes, sujettes aux passions et à l'envie.
C'était une pensée qu'il n'osait évoquer auprès de personne. Il y avait un côté blasphématoire en elle. Et outre le fait qu'il ne songeait pas que quiconque n'ayant pas vécu ses vies puisse le comprendre, il redoutait le pouvoir de l'Ancien. Il l'avait fait immortel. Qui savait ce qu'il pouvait lui faire en représailles de ce genre de pensées ?
Il imaginait aussi que l'Ancien ne pouvait pas ne pas être au courant de cette réflexion. Puissant parmi les puissants, ayant façonné le Serviteur selon ses désirs, comment pourrait il ignorer cette opinion ?
Peut être l'Ancien était il plus sage qu'il ne pouvait l'imaginer et laissait son Serviteur ruminer ses idées ?
Il y avait tant d'interrogations et si peu de réponses au sujet de l'Ancien...

Anghalon se tenait dans une petite clairière, perdue au milieu d'une vallée encombrée plus que de raison de ronces et de buissons. Devant lui, encore baigné par les rayons d'un soleil crépusculaire, un petit tertre surgissait au milieu d'herbes folles. Il s'agissait de la sépulture dans laquelle reposait le corps d'Haloric, son premier corps. Cette tombe, le Serviteur l'avait entretenue dès sa première réincarnation. Il avait occasionnellement déplacé le corps, son corps, enfin celui d'Haloric.
A travers les âges, le Serviteur était venu ici à chaque fois que l'Ancien l'avait appelé. Il s'agissait de se remémorer qui il avait été, lorsqu'il était encore humain. Venir contempler cette tombe au corps dont l'âme s'était échappée à la mort permettait de faire le lien avec ce passé si lointain. Par delà les siècles, Anghalon contemplait Haloric.
Peu d'hommes auraient pu se vanter de contempler leur propre tombe et leur propre cadavre mis en terre.
Entre Haloric et Anghalon, il y avait l'immortalité du Serviteur et cinq siècles d'existence. Peut être six... Le Serviteur ne se souvenait plus tout à fait du temps qu'il avait déjà passé sur Hannoerth. Il ne se souvenait de manière aiguë que de chacune de ses morts et cela était son seul moyen pour tenter de remonter le temps et évaluer depuis combien de temps il existait.
Mais si l'homme a du mal à réfléchir à sa propre, et future, mort, le Serviteur n'appréciait pas plus de se remémorer les siennes, qu'il avait toujours vécues avec peur sinon douleur.
La peur l'avait toujours étreint dans les derniers moments de chacune de ses existences. Pas la peur de mourir véritablement mais la peur que l'on ressent devant l'inconnu. Mourir signifiait pour le Serviteur être plongé soudainement dans une nouvelle existence, redevenir un enfant, réapprendre des choses élémentaires puis répondre sans cesse au Cercle, prouver sa nature spirituelle qui l'immunisait à la mort.
C'était toujours l'inconnu. Un peu comme une naissance, ce qui était le cas, du moins physiquement. Il ne pouvait pas acceuillier la mort avec soulagement. Cela lui était interdit. Mourir, pour le Serviteur, n'était qu'une étape, un passage vers une autre existence, en emportant avec lui ce qu'il pouvait de ses souvenirs mais aussi ses doutes, ses angoisses, ses responsabilités, c'était savoir que l'épreuve de la jeunesse l'attendait encore. C'était anticiper d'être, une fois de plus, durant quinze ou vingt ans, être enfermé, restreint, contenu, dans un corps d'enfant mais avec un esprit intact et pleinement formé. Comme si on le jetait dans une prison de chair.

Anghalon observa un écureuil, perché sur une branche. peut être était il la nouvelle forme d'une personne qu'il avait connu ? Il pourrait tenter de le savoir mais peu lui importait. Soupirant, il se dit qu'il devrait être agréable de fuir cette vie de Serviteur pour devenir un simple animal, pour une existence, courte soit elle...
Anghalon embrassa une dernière fois la clairière du regard. Il lui fallait maintenant rejoindre l'Ancien.

Il ouvrit son esprit à la Création et levant la tête, il fixa les étoiles qui commençaient tout doucement à scintiller dans le ciel, encore voilées par la lumière du jour déclinant.
Même après avoir fermé les yeux, il lui semblait toujours pouvoir distinguer les étoiles. Il imaginait les constellations luisantes dans la semi-obscurité. Son esprit voulait les parcourir, virevolter dans les cieux sous leur lueurs.
Et Anghalon devint cet esprit vénéré dans la Lande Fertile. Incorporel, vaporeux, il s'éleva dans le ciel. Un témoin inattentif n'aurait vu qu'une brume. Un observateur plus éveillé aurait pu distinguer les traits de son visage dans la vapeur, il aurait pu trouver une silhouette humaine dans cette forme.

Le Serviteur plana un instant au dessus de la forêt proche, baigné par la lueur stellaire. A l'ouest, le soleil n'en finissait plus de mourir, son éclat tentant désespéremment de contenir la nuit.
Anghalon se laissa porter par le vent du soir, paresseusement. Ici, il était dans son domaine, au plus près de ses étoiles qu'il aimait tant.
Puis il débuta son voyage jusqu'à la Roche, le repaire de l'Ancien.
Anghalon survola la contrée de Daer'Enian, sa patrie. Sa forme brumeuse plana au dessus des reliefs du plateau qui la constituait. Il distinguait dans la nuit tombante les lumières des villages, telles des lucioles perdues au milieu d'une mer de collines douces. Il pouvait presque sentir son peuple vivre, entendre les cérémonies religieuses du soir, les cantiques des druides du Cercle Vert adressés au vent, à la terre, aux étoiles.

Son voyage aérien le porta vers le nord ouest du plateau. Il ne distinguait qu'à peine l'Océan de Danaer, loin à l'est, sous la forme d'une masse plus sombre que la terre sous lui car déjà sous la nuit étoilée. Dans l'ouest lointain, le soleil disparaissait derrière la chaîne de montagne que son peuple appelait la Barrière.
La Roche était un bloc de pierre presque monolithique, qui dominait les vallées et les collines avoisinnantes. On aurait pu croire à une montagne égarée ou un morceau de pierre gigantesque arraché de la Barrière et jeté au loin par un dieu colérique si cela n'avait été cette rondeur qui faisait penser à une immense et très haute colline.
Anghalon s'approchait de la Roche, toujours brumeux, mêlé aux vents. Il apercevait la masse sombre de la forteresse de Tirnaer, la seule forteresse qu'ai jamais bâti son peuple. Elle ne ressemblait pas aux forts et châteaux des Arinlins. Ces derniers édifices parsemaient la plaine de Thyrann, témoignage de la puissance des princes Arinlins. Tirnaer était une forteresse qui s'était construite à travers les siècles, profitant de la position privilégiée qu'offrait la Roche. Elle n'était qu'une suite de parapets de pierre, de talus, de grossiers fortins de bois encadrant le seul pic de la Roche.
Tirnaer n'appartenait à aucun clan Vanirin. Elle appartenait au Cercle Vert. La position défensive qu'était la Roche était trop importante pour que le Cercle ait pu tolérer qu'un clan s'en empare. Alors que Tirnaer avait été bâtie initialement pour se protéger, sa maîtrise engendrait des problèmes entre clans. Celui qui en était maître pouvait, à loisir, attaquer ses voisins sans risques graves de représailles. Alors le Cercle avait neutralisé Tirnaer en s'y imposant.

Burme fugace, Anghalon survola Tirnaer. La forteresse était en mauvais état, mal entretenue. Elle servait de point de rencontre occasionnel entre les membres du Cercle. Les fameuses Soeurs du Dragon y vivaient aussi.
Les Soeurs étaient un groupe de femmes Vanirins qui incarnaient la terre vengeresse, la terre qui tue lorsque bafouée.
Elles étaient peu nombreuses et leur force tenait bien plus de la légende et de la superstition que d'une véritable puissance.
Le Cercle avait appelé les Soeurs pour poursuivre l'armée en retraite des Arinlins, il y a deux ans. La majeure partie d'entre elles avait soit péri soit avait été sérieusement blessées. Mais elles avaient entretenues leur légende. Les clans Vanirins s'étaient assemblés autour d'elles pour combattre, unis, car elles représentaient leur terre, leur pays, qui se révoltait contre la présence ennemie.

Le Serviteur passa trop près de l'une de ces guerrières qui contemplait la nuit, en haut de l'une des ces tours faites de grossières pierres entassées. Mûe par une soudaine intuition, elle venait de lever la tête et l'aperçut. Il s'immobilisa et se laissa dériver dans le vent nocturne.
Elle le regarda d'un air incrédule durant quelques secondes puis murmura doucement l'un des noms mystiques que les Vanirins lui avaient attribué. Elle l'avait reconnu.
Anghalon glissa vers elle et l'enveloppa dans son corps vaporeux. La Soeur arbora un sourire d'extase religieuse à son contact. Elle venait d'être touchée par l'esprit protecteur de Daer'Enian, son pays.
Le Serviteur profita de cet instant pour s'éloigner soudainement. La seconde qui suivit, il n'était plus là. Il laissa la guerrière à ses impressions. Elle se souviendrait sans doute toute son existence de cette brève étreinte.

La Roche s'endormait doucement. Quelques lueurs ça et là dans les bâtiments épars et rustiques témoignaient de la vie qui y résidait. Le Serviteur s'en réjouit. Il préférait éviter d'être à nouveau vu.
Il descendit silencieusement vers le sol puis passa au milieu des arbres et des buissons, sa forme s'effilochant, accrochée par les végétaux.
Il alla jusqu'à l'une des nombreuses anfractuosités de la Roche. Il s'agissait d'un ancien gouffre dont les parois s'étaient effondrées avant la naissance d'Haloric. Des rochers massifs encombraient le fond de celui-ci, couverts de mousse et de ronces. On aurait voulu le combler que l'on aurait pu imaginer mieux. C'était le cas.
Il s'enfonca vers le fond du gouffre et trouva son chemin à travers les blocs. Des fissures à travers lesquelles aucun homme n'aurait pu se glisser existaient. Le Serviteur glissa son corps brumeux à travers elles.
Il parcourut le fond du gouffre enseveli sous des tonnes de pierre.

Qui pouvait se douter que l'Ancien résidait dans la Roche ? Même le Cercle Vert l'ignorait. Seul lui, le Serviteur, connaissait ce secret. Il trouvait d'ailleurs délicieusement ironique de savoir que le Cercle se posait à mi-voix la question de l'endroit où vivait l'Ancien alors qu'il se réunissait parfois juste au dessus de lui.
Il y avait eu des curieux parmi les membres du Cercle à travers les siècles. Bien que le Cercle sache pertinemment que l'Ancien ne tolérait que le Serviteur, certains membres avaient tenté de percer ce secret.
Le Serviteur avait été suivi plusieurs fois, espionné par magie ou par la Création au service d'un de ces membres. Il avait tué de ses propres mains deux membres du Cercle Vert sur ordre de l'Ancien et un membre de sa propre initiative.
Au siècle dernier, un membre du Cercle avait réussi à réaliser que ce qu'il cherchait était à sa portée, dissimulé sous son nez. Ni le Serviteur ni l'Ancien n'avait su anticiper, comprendre ce qu'il allait faire et ce prêtre était descendu dans le gouffre. L'Ancien l'avait alors promptement déchiqueté comme récompense à sa curiosité.

Alors que ces souvenirs lui revenaient, le Serviteur parvint à un boyau dans la Roche. Il était enfin parvenu au passage menant à l'Ancien. Il reprit alors consistance, sa magie l'abandonnant. Dépouillé de sa forme spirituelle, il se retrouva plongé dans l'obscurité la plus totale.
Il en appela à la Création et ramassa un gravat qui se mit aussitôt à luire doucement, lui procurant une faible, mais suffisante pour lui, clarté.
Anghalon progressa, courbé, dans la galerie. Cette dernière était relativement large, plusieurs mètres, mais très basse. A certains endroits, la roche avait été fracassée, le boyau élargi. A d'autres, la roche semblait avoir été rongée, érodée et le plafond s'était effondré, comblant le tunnel en partie et bloquant ce que le Serviteur pensait être d'autres accès.

Après une vingtaine de mètres, le boyau se termina pour laisser place à une vaste dépression. Si l'Ancien avait bloqué les accès venant de la surface, il n'avait pas fait de même avec les profondeurs de la terre. Les galeries qui trouaient la Roche étaient remplies de vies. De nombreuses créatures adaptées à la vie souterraine y résidaient. Pas de gros mammifères bien sûr mais des colonies d'animaux fouisseurs, des insectes, des reptiles divers et quelques amphibiens et une poignée de chauve souris. Mousses et champignons de bonne taille complétaient la chaîne alimentaire et tout ce petit monde survivait, inconnu des guerrières Vanirins qui foulaient la surface.
Le Serviteur entama sa descente dans cette dépression rocheuse. Les premières fois, il avait failli plus d'une fois se rompre le cou mais, avec le temps, il avait fini par mémoriser un chemin presque sûr.
Arrivé à la moitié de sa descente, le seul chemin possible était celui que l'Ancien avait bien voulu laisser après avoir pulvérisé les autres parois. Ce chemin était, en réalité, plutôt un piège qu'une issue vers le fond. Mais il était le seul.

L'Ancien lui avait confié un jour que lorsqu'il était venu résider dans la Roche, il avait trouvé une créature fabuleuse qui survivait en son sein depuis des éons. Il avait alors toléré qu'elle continue à vivre dans la Roche.
Le Serviteur contemplait, à la lueur de sa pierre enchantée, une longue corniche particulièrement instable. Tout faux pas pouvait entraîner une chute mortelle sur les roches en contrebas. D'autre part, et c'était là sans doute le plus grand danger, une dense couche de toiles d'araignée recouvrait la paroi et la corniche sur une bonne dizaine de mètres de large.
La créature que l'Ancien avait découverte était une araignée. Une araignée énorme, large de plusieurs mètres. Elle serait une vision cauchemardesque pour bien des mortels. Elle n'était pourtant qu'une araignée. Monstrueuse pour beaucoup, elle n'était qu'une araignée hors norme pour le Serviteur mais tout de même un simple arachnidé.
L'araignée gardienne était tapie dans un renfoncement de la paroi. Elle ne bougeait que lorsqu'une prise s'emmèlait dans sa toile, pour la dévorer.
Le Serviteur l'admirait beaucoup. Elle était plus vieille que lui et survivait ici. Il s'était longtemps demandé comment elle subsistait. Il lui semblait qu'il faille à la gardienne des proies de la taille d'un cheval pour contenter son appétit, ce qui semblait impossible ici.
La solution, il l'avait trouvée en comprenant que l'Ancien n'avait pas condamné les issues qui menaient vers les profondeurs de la terre. D'autres animaux souterrains, d'une taille que peu imaginaient, remontaient occasionnellement jusqu'à la Roche. L'Ancien les chassait alors vers l'araignée pour qu'elle s'en nourisse. Une sorte de pacte d'amitié, en quelque sorte. Mais le Serviteur suspectait qu'elle soit aussi capable de jeûner très longtemps. De toutes façons, l'araignée avait quelque chose de magique. Déjà par sa taille, elle affichait qu'elle était l'un des enfants chéri de la Création.

La descente à travers les toiles, sur cette corniche instable, serait sans doute mortelle pour quiconque assez fou pour la tenter. Si l'intrus ne trébuchait pas, il se prendrait sans doute tôt ou tard dans la toile, provoquant l'attaque de l'araignée.
Mais le Serviteur n'était pas un intrus et, de plus, la Création le protégeait.
Anghalon inspira doucement et se concentra sur son environnement. Il lui fallait ressentir la Création autour de lui par tous ses sens. Il percevait peu à peu les minuscules bruits du gouffre, les légers courants d'air, le vol indolent d'une chauve souris qui glissait vers le fond, les crissements de la roche sous de petites pattes, le bourdonnement ténu de quelques insectes...
Il était maintenant en harmonie avec la Création, avec le gouffre et s'avança vers la corniche.
Sans la moindre hésitation, son pas le conduisit sur le sol le plus ferme, à travers les meilleurs passages dans la toile. Il traversa le piège avec une facilité déconcertante qui aurait pu faire douter de son efficacité mortelle. Chacun de ses pas était le bon, il se baissait et se relevait pour éviter les lambeaux de toile avec assurance, sans même les regarder. Il parcourut la corniche branlante d'une seule traite, sans le moindre arrêt, à vitesse de marche.
Parvenu de l'autre côté du piège, il se retourna. A chaque fois, il était fasciné par la manière dont la Création l'avait aidé à traverser. Ce qu'il accomplissait ici était un exploit en soi. Mais les miracles étaient courant dans l'existence du Serviteur.

Anghalon termina la descente. Le fond du gouffre était couvert d'éclats de roche. L'eau qui suintait le long des parois se rassemblait ici, en une mare calme. Lorsque de grosses pluies lavaient la Roche, le gouffre s'inondait peu à peu, rendant l'accès au fond difficile, voire impossible.
Plusieurs petites galeries menaient au fond du gouffre. La plus large d'entre elle menait à l'antre de l'Ancien. Anghalon l'emprunta.
Cette galerie descendait à pic mais la roche avait été polie par l'eau. Un léger filet coulait vers les entrailles de la Création. Lors de crues, la rivière souterraine qui se trouvait tout en bas remontait et en faisait un siphon. Le Serviteur détestait devoir nager dans l'eau glacée et noire lorsque cela arrivait. Là encore, la descente était périlleuse car on manquait de glisser sur la roche pour s'écraser au coude suivant de la galerie.
Le Serviteur s'était maintenant profondément enfoncé sous la Roche et l'air devenait froid. Il ressera son manteau autour de lui.

Enfin, il parvenait au terme de son périple souterrain. Une autre vaste grotte s'ouvrait à son niveau alors que la galerie menant à la rivière continuait sa descente.
L'Ancien était proche. Il sentait sa présence surnaturelle.
Anghalon s'engagea dans la grotte, la faible lueur de son gravat ne parvenant pas à en éclairer l'immensité. Stalagtites et stalagmites brisés jonchaient le sol irrégulier. Le Serviteur progressait au milieu de ce noir d'encre, seule lueur de ce monde inconnu de son peuple.
Il sentit, entendit l'Ancien bouger devant lui. C'était un bruit de roches broyées par sa fabuleuse masse.

"- Te voilà Serviteur...
La voix de l'Ancien était profonde, semblant venir d'un autre monde. Anghalon s'immobilisa. De la lueur de sa pierre enchantée, il distingua la tête de l'Ancien, qui s'était approché à son arrivée.
C'était une tête immense, presque aussi haute que lui, bien plus large. La tête d'une créature effrayante, couverte d'écailles émeraudes, à la mâchoire pourvue de dents effilées et plus solides que l'acier. Les yeux de l'Ancien étaient plus gros que sa propre tête, ils étaient reptiliens, d'un jaune vif. Au delà de cette tête, Anghalon entr'apercevait le reste du corps de l'Ancien. Un lézard immense aux proportions parfois curieuses, doté d'ailes membraneuses repliées sur son dos parsemé de pointes osseuses. L'Ancien était un dragon. Une créature de plusieurs tonnes, d'une quinzaine de mètres de long...
Le Serviteur s'inclina avec un respect et une foi dans la Création sans limite. Encore une fois, un sentiment de peur s'empara de lui, comme à chacune de ses visites. C'était une réaction naturelle devant la puissance physique et mystique de l'Ancien.
- Me voilà Maître. Prêt à entendre ta parole.
- La Création et les temps changent, Serviteur. Je suis au fait des choses de la Lande car nul ne peut se soustraire à mon regard.
Le Serviteur resta perplexe devant cette affirmation.
- De la Barrière à l'Océan, de la Lande Perdue à Thyrann, le peuple Vanirin règne. Si les ennemis de ton peuple sont nombreux, les miens sont autrement plus retors. Ma retraite a été dérangée et je ne puis tolérer cela.
- Quelqu'un est parvenu jusqu'ici, Maître ?
- Nul ne peut parvenir ici sans mon accord. Mon sanctuaire est inviolé.
Le Serviteur songea à Bheltir, ce prêtre du Cercle qui, pourtant, était parvenu jusqu'à cette caverne. Quoiqu'il y ait trouvé la mort, le sanctuaire de l'Ancien n'était pas si inviolable car il résidait surtout dans le secret.
- Il est temps de frapper les ennemis de Daer'Enian en retour. Les princes du sud doivent payer le prix du sang versé lors de leur invasion.
- Mais, Maître, pourquoi maintenant ? La guerre est terminée, les Arinlins ont fui notre terre.
- Leur audace ne doit pas rester impunie.
- Je ne comprends pas, Maître. Le Cercle Vert a toujours du rester en retrait dans les conflits des Vanirins, selon vos ordres. Durant une génération, les Arinlins ont combattu sur nos terres et nous n'avons pas pu agir. Désormais, si nous les frappons, les Arinlins reviendront à la charge. C'est un peuple rancunier et guerrier. Ils ne tolèleront pas une attaque. Et avec quoi devrions nous les frapper ? Dans la plaine de Thyrann, la chevalerie Arinlin va balayer nos guerriers, nous ne sommes pas en mesure de capturer leurs forteresses et ils sont plus nombreux que nous...
- Prétends tu venir m'expliquer les conséquences de mes décisions, Serviteur ?
La voix de l'Ancien se termina en un grondement menaçant qui fit vibrer l'air.
- Je ne fait que penser au bien de notre peuple, Maître.
- J'ai des vues plus éclairées que toi sur la question, Serviteur. Ne remet pas en cause mes ordres. Obéis.
-
J'obéirai, Maître, comme je l'ai toujours fait.
Anghalon courba la tête, résigné.
- Tu vas partir pour les clans Réprouvés et leur rappeler leur allégeance au Cercle. Tu vas aller leur dicter ma volonté.
- Les clans Réprouvés ? Ils ne sont plus membres de notre peuple. Ils baisent les pieds de la déesse lunaire des Arinlins, ils sont leurs chiens obéissants. Ils ne reconnaîtront pas l'autorité du Cercle.
- Ce sera donc à toi de te faire obéir.
-
Bien. Je vais informer le Cercle. Devons nous accepter à nouveau les clans Jonvik et Erghlan dans notre nation ?
- Tu n'informeras pas le Cercle de cette mission.
-
C'est contre les lois du Cercle ! Vous ne pouvez pas...
L'Ancien fit un brusque mouvement vers Anghalon. Sa tête le domina et la terrible mâchoire claqua juste au dessus de lui. Le Serviteur se recroquevilla de peur.
- Quelles lois ? Je suis le Cercle. Je suis la loi. Je dicte et vous obéissez. Oublieriez-vous, mortels, qui est le centre de votre Cercle ? Qui je suis ?
Anghalon bredouilla.
- Non... Nous... Nous n'oublions pas, Maître.
- Bien.
Le dragon recula dans son antre. A nouveau, le Serviteur ne distinguait plus clairement que la massive tête reptilienne.
- Tu vas partir dès maintenant. Inutile d'informer qui que ce soit de ton départ. Ta mission devra être accomplie sans délais.
Puis l'Ancien lui exposa ce qu'il désirait.

A l'écoute de la mission que lui confiait l'Ancien, Anghalon sentit la peur l'étreindre. Pas la peur pour sa propre personne mais pour le destin de tout son peuple. Il n'envisageait rien de bon de ce plan. Il avait l'impression d'entendre l'Ancien lui décrire comment il comptait anéantir le Cercle Vert et le peuple Vanirin en même temps en lui demandant sa bienveillante coopération.
Intérieurement il se révolta contre ce que l'Ancien attendait de lui, il tentait de trouver des compromis à soumettre à l'Ancien. Au besoin, il refuserait d'accomplir la volonté du dragon.
Mais l'Ancien était une créature hors du commun. Non seulement, il s'attendait à ce que le Serviteur se révolte à l'exposé de son plan mais il lisait dans l'esprit du Serviteur aussi facilement que dans un livre ouvert. Il suivait le cheminement des doutes du Serviteur qui le conduisaient au refus.
Comme l'Ancien ne tolérait pas que le Serviteur refuse de lui obéir, il s'insinua dans ses pensées, broya la volonté de l'humain, submergea son esprit.
Lorsque le Serviteur eut fini d'entendre la mission que l'Ancien attendait de lui, il n'avait finalement rien objecté. Il était douloureusement conscient du terrible destin qui se profilait pour Daer'Enian. Mais sa volonté avait été soufflée comme une simple bougie par le dragon. Il obéirait.